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Emmanuelle de Riedmatten, une femme soucieuse d’autrui derrière la caméra

Photo du rédacteur: Natacha de SantignacNatacha de Santignac

Installée à Bex depuis 2006, la réalisatrice Emmanuelle de Riedmatten est née à Sion, dans une famille catholique. Son parcours atypique l’a conduite à découvrir le monde, devenir infirmière avant de plonger dans les entrailles du septième art, à la suite de sa rencontre avec le cinéaste Francis Reusser.

 

Quatrième d’une fratrie de six, Emmanuelle de Riedmatten parle avec tendresse de ses années d’enfance passées dans la vieille ville de Sion, non loin de la prison. « Nous jouions toujours dans la rue ou au pied de la Basilique de Valère avec les autres enfants du quartier. La seule personne à posséder une télévision était le revendeur dont l’épouse nous recevait le mercredi après-midi pour nous faire découvrir ce nouveau média. » 

 

Aider les autres et rompre avec la religion

À huit ans, elle découvre les frissons de l’interdit en faisant du petit trafic avec les prisonniers. « Avec mes frères et sœurs nous avions mis au point un système de téléphérique avec une cordelette qui nous permettait de transmettre de petits colis remis par les épouses des détenus rencontrées auparavant dans un tea-room de la place. Elles nous confiaient des lettres, du tabac et du chocolat. Le directeur de la prison nous a convoqués plusieurs fois. Mon père, avocat de nature sévère, était au courant, mais nous n’avons jamais vraiment été inquiétés ».

Lorsqu’Emmanuelle de Riedmatten a douze ans, ce dernier meurt d’une crise cardiaque. L’injustice profonde vécue par la réalisatrice entraîne son éloignement définitif de la religion.

 

Voir le monde et continuer d’aider

Après sa maturité, Emmanuelle de Riedmatten travaille auprès d’enfants handicapés en attendant de prendre un bateau de Gênes à Rio. Elle avait acheté un billet de 4e classe, et partageait sa cabine avec sept nonnes italiennes. Celles-ci fatiguées de ses retours tardifs, se plaignirent. Résultat : Emmanuelle est poussée à quitter la 4e classe pour la 2e, et n’a plus qu’une seule voisine, sans débourser un sous supplémentaire. « J’avais des contacts sur place, car je devais voyager avec un ami, mais il a eu un accident de voiture. Mes frères et sœurs m’ont mis au défi de partir seule, et j’ai gagné ! Sur place, c’est d’abord la déception, car Rio de Janeiro nageait dans le bouillard ! Progressivement, j’ai appris à me débrouiller en portugais, tant et si bien que j’ai même donné des cours de planning familial dans le cadre d’un programme où nombre d’étudiants étaient mis à contribution. C’était une expérience très enrichissante ». Après le Brésil, Emmanuelle de Riedmatten rejoint un groupe de jeunes avec qui elle sillonne la Bolivie, le Pérou, le Chili et l’Argentine.

Lorsqu’elle rentre en Suisse, ce n’est que pour mieux repartir. Cette fois, elle pose ses valises en Afrique au Niger pendant six mois. Là encore, elle saisit les occasions : cuisinière pour un ministre et gestionnaire d’un dispensaire. Dans ce cadre, elle masse des femmes et leur apprend des techniques pour qu’elles puissent les appliquer à autrui. Emmanuelle de Riedmatten aime être utile, et décide de se former en tant qu’infirmière pendant trois ans à Lausanne. En 1977, lors d’un stage, elle rencontre son futur mari. Une nouvelle vie commence.



La porte aux épis, Sion, Valais, Suisse. Natacha de Santignac
La porte aux épis, Sion, Valais, Suisse. Natacha de Santignac

 

De mère de famille à réalisatrice

Deux filles naissent respectivement en 1981 et 1982. Emmanuelle de Riedmatten ne s’occupe pas uniquement de sa famille, elle décide de suivre des cours d’ethnologie à l’université de Neuchâtel. Au milieu des années 80, alors qu’elle fête ses examens, elle rencontre Francis Reusser au bar « Le Léopard » à Sion. Il lui propose de travailler sur son film « La loi sauvage ». Son premier travail : arrêter le trafic pour permettre le tournage. Rapidement, elle devient accessoiriste, puis commence aussi à mettre la main à la pâte pour l’écriture : « Francis changeait constamment les dialogues. Je glissais les nouveaux textes sous les portes des acteurs à 5 heures du matin ! ». Finalement, elle touche à tout : la production, l’intendance, la régie, le budget. Francis Reusser lui apprend le montage. En 2000, elle se lance avec « Les visites de la lune » un documentaire sur les menstruations qui révèle le mystère, voire le tabou lié à cette condition des femmes dans différentes cultures, quel que soit leur milieu social.

 

Témoigner pour transmettre, pour aider

Le fil rouge du travail d’Emmanuelle de Riedmatten : les êtres humains et leur parcours. Citons, « Vivement samedi » en 2006, une chronique des week-ends passés au bord du lac à Lausanne-Vidy de familles issues de différentes communautés ; mais aussi « Blandine et les siens » en 2004, un documentaire sur une jeune Rwandaise tutsie sauvée par sa voisine, une femme hutue, et adoptée par sa tante vivant en Suisse. Emmanuelle de Riedmatten a retrouvé cette femme, et organisé des retrouvailles poignantes dix années après le génocide ; ou encore « Madre Habana » en 2019, sur les traces de la violoniste d’origine cubaine Yilian Cañizares. On y découvre le passé de cette musicienne prodigieuse qui a quitté ses racines et ses proches à l’adolescence pour parfaire sa formation musicale au Venezuela, puis en Suisse. En filigrane de cette histoire, toute la complexité du régime cubain, sous l’angle de l’éclatement d’une cellule familiale où l’amour circule envers et contre tout.

 

Emmanuelle de Riedmatten s’adapte et se consacre pleinement à son travail de réalisatrice de documentaires avec une humanité touchante. Engagée dans sa communauté à Bex, elle est invitée à projeter ses réalisations au cinéma Le Grain de Sel, participe à la coopérative Le Radis, et est membre du S.E.L (Système d’échange local) de sa ville d’adoption. Contribuant au rayonnement du Chablais, elle tourne depuis deux ans un documentaire sur la restauration des orgues de l’Abbaye de Saint-Maurice. Le tournage, commencé bien avant le scandale, mettait cette restauration de grande envergure, tel un rajeunissement, face au vieillissement inéluctable de la communauté des chanoines, mais l’actualité a eu raison de cette perspective. La version actuelle du documentaire, focalisée sur l’instrument en lui-même, sera diffusée à Pâques sur la RTS.

 

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