Scénariste, dramaturge et écrivain, Antoine Jaccoud, Lausannois d’origine, a choisi Bex comme nouvel ancrage pour observer et vivre la période de transition sociétale dans laquelle nous sommes plongés.
Cette installation à Bex n’est pas due au hasard. En effet, son grand-père, venu d’Autriche après la deuxième guerre mondiale, vécut l’essentiel de sa retraite aux Posses. Le jeune Antoine se réjouissait de ses visites : « L’hiver, les pistes de Villars et le télé de la Barboleuse me tendaient les bras. L’été, je m’occupais des moutons, des lapins et des animaux de la basse-cour. Un vrai régal. Aujourd’hui, j’ai le désir d’arpenter la région sur mon deux roues, de me fondre dans cet environnement avec cette curiosité insatiable que je tiens de ma mère ».
De journaliste à scénariste
Sa licence en Sciences sociales et politiques en poche, Antoine Jaccoud devient journaliste. Il travaille environ cinq années pour l’Hebdo, mais cette vie ancrée à un bureau, de même qu’une hiérarchie très présente ne lui conviennent pas. Le jeune homme n’a pas d’idée précise de l’avenir professionnel à choisir. Il sait, cependant, qu’il souhaite se diriger vers une expression plus personnelle de sa plume. Un jour, il rencontre le réalisateur suisse Michel Soutter, et se souvient d’une critique sévère qu’il avait rédigée sur « Signé Renart », l’un de ses derniers films. « J’ai pris conscience de mon arrogance de spectateur averti, mais surtout de l’impact de mes mots. Ils avaient blessé, non seulement l’homme, mais aussi son travail, sans trop savoir, alors, ce qu’il en coûte de réaliser des films. Cela m’a beaucoup interrogé. J’ai voulu creuser la première étape de fabrication, à savoir le scénario ».
De Krysztof Kieslowski à Ursula Meier
Antoine Jaccoud décide donc de se former, et s’inscrit à un séminaire dirigé par le grand scénariste et réalisateur polonais Krysztof Kieslowski*. « Pendant une année, j’ai côtoyé cette figure exigeante, tant du point de vue artistique qu’éthique. J’ai beaucoup appris auprès de lui, et grâce à ses enseignements, j’ai écrit mon premier scénario. Ensuite, j’ai participé à des ateliers animés par des scénaristes américains de renom, à la suite desquels on m’a confié un enseignement de la scénarisation à l’ECAL. Former m’a permis de transmettre, bien sûr, mais aussi de beaucoup recevoir ». En 2000, Pierre-André Thiébaud, un producteur valaisan, met Antoine Jaccoud en contact avec Ursula Meier. Ils commencent une collaboration fructueuse, six films jusqu’à présent, dont le dernier « La Ligne », sélectionné au Festival du Film de Berlin, a été tourné dans le Chablais. « Ursula et moi possédons la même idée du drame, et apprécions, par-dessus tout, les personnages obstinés qui donnent corps aux intrigues fortes. Nous travaillons de manière complémentaire. Elle est plus visuelle, et sait définir concrètement les personnages et les espaces dans lesquels ils évoluent. De mon côté, je me concentre plus sur la dramaturgie et les développements narratifs ». Les films qu’ils ont coécrits présentent toujours des situations d’une tension extrême où l’énergie puissante tourne en une fraction de seconde à l’hystérie. « Pendant la phase de rédaction, on ressent moins ce que la dureté des personnages implique au niveau de l’incarnation physique pour les actrices et les acteurs. J’éprouve sincèrement une très grande admiration pour leur travail. D’une part, on leur demande vraiment un investissement colossal, d’autre part, ils sont très exposés et vulnérables ».
Des mots pour la scène
S’il aime le travail collectif des scénarios, Antoine Jaccoud se délecte aussi en solitaire lorsqu’il écrit pour le spectacle vivant. De 1996 à 2005, il est le dramaturge du « Théâtre en Flammes » de Denis Maillefer qui met en scène plusieurs de ses textes, notamment « on liquide », une pièce sur la fin des petits paysans. Il conserve de cette expérience la passion des répétitions et la dynamique de l’espace scénique. « Au cinéma, plusieurs prises sont tournées, mais une seule est montée. Le théâtre est organique. Une scène n’est jamais jouée exactement de la même façon. Il y a beaucoup plus de discussions entre les comédiens sur les relations aux autres personnages ou leurs conflits intérieurs. C’est extrêmement intéressant pour un auteur ». L’actualité inspire le dramaturge, comme les splendeurs et misères de Lolo Ferrari, qu’il a mises en mots dans le monologue « Je suis le mari de Lolo » en 2000. « J’entendais parler de cette âme perdue, dépressive et douloureuse. La voyant à la télévision, je me suis dit “cela va mal finir“. Quelques mois plus tard, sa mort a propulsé la pièce, et permis sa création en Suisse, puis en France et jusqu’au Burkina-Faso ».
Une plume engagée
Antoine Jaccoud, féru de mots, de scène et de jeux, utilise aussi ses talents pour mettre en lumière des pages sombres de l’histoire humaine, comme le génocide de Srebrenica survenu le 11 juillet 1995, lors du conflit dans l’ex-Yougoslavie. En 2005, il invite une dizaine de survivants de ce drame à témoigner sur scène à Genève. En 2018, il coréalise le documentaire « Retour à Višegrad » avec Julie Biro. Dans celui-ci, des élèves serbes et bosniaques, séparés par la guerre en 1992, sont réunis. Les retrouvailles de ces jeunes sacrifiés, devenus adultes trop vite, sont d’une justesse touchante. Parallèlement, au théâtre, il dédie aux animaux un long monologue intitulé « Adieu aux bêtes ». L’auteur l’avoue humblement, « j’aime la forme des adieux. J’en ai écrit plusieurs : un pour la neige qui s’en va, celui d’un père astronaute qui part pour Mars... ».
Antoine Jaccoud est heureux à Bex. La grande cuisine de son appartement lui permet de travailler sur la table de cette pièce centrale à ses yeux. Attention, il s’en sert également pour manger, boire l’apéro, discuter de tout et de rien, sans oublier des préoccupations de notre époque, comme l’écoanxiété des jeunes. La question : « Comment être parents face à l’effondrement ? » tourne encore et encore dans sa tête, et va devenir le sujet d’un film documentaire. Il pense que Bex représente un laboratoire parfait pour observer la métamorphose d’une ville qu’il connaît depuis l’enfance, et dans laquelle la question du vivre ensemble se pose avec une acuité singulière.
*Le Décalogue, Trois couleurs Bleu, Blanc, Rouge, par exemple
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