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Photo du rédacteurNatacha de Santignac

Chasseur d'images


Sur une image de Jean-Marie Manzoni.

Intro : ce texte est une commande de la Galerie Kobler sur une image de Jean-Marie Manzoni.


Tranquille quoique déterminée, la cadence du troupeau rythme la course alerte et légère de l’animal. Son attention ne reste jamais fixée très longtemps sur le même objet. Quelques brindilles lui chatouillent parfois les naseaux, puis il se dirige vers un autre gnou et le mordille. Il n’apprécie guère les oiseaux venant se percher sur son échine tout aussi fine que saillante, et les malheureux se retrouvent bien vite en zone sismique dangereuse.

Tandis que je l’observe, l’élégance de son pelage, son allure digne et son agilité capturent mon regard. C’est un jeune adulte fougueux, élancé, impétueux. Sa robe scintille sous le soleil généreux. Je ressens sa vitalité au plus profond de mon être. Malgré la présence d’une multitude d’animaux, une douceur de vivre règne sur la plaine, et l’atmosphère demeure calme.

Ma respiration, courte mais paisible absorbe cette puissante sérénité tel un élixir. Un baume de bien-être caresse ma peau. Si je ferme les yeux quelques instants, je me métamorphose en gnou. Je secoue la tête pour éloigner les insectes, je savoure les herbes croustillantes et l’eau fraîche du fleuve.

Soudain, surgissent plusieurs véhicules sortis de nulle part. Circulant sur le pourtour du troupeau, ils n’hésitent pas à se rapprocher de plus en plus. La tension d’abord à peine perceptible commence à croître. Je la perçois et ma rêverie s’interrompt brutalement.

C’est alors que des coups de feu retentissent, les animaux s’effraient. Ce n’est pas moi qui tire, bien sûr, mais tout mon être est absorbé dans la tourmente, et mon déclencheur résonne au creux de mon oreille, alors que le vacarme et le chaos se répandent sur la plaine. Plusieurs animaux tombent sous les balles avides de sang et de prestige. Le jeune gnou s’envole avant de se fracasser dans la poussière.

Mon souffle se fait court. La tête me tourne. Mon corps bascule à son tour. J’entends des cris de panique dans la voiture autour de moi. Je ne comprends pas ce qui se passe. J’ai très chaud, puis très froid. Mon corps tremble, un liquide épais se répand sur ma main droite. Au prix d’un effort surhumain, je parviens à lever mon appareil. La beauté de la bête me subjugue une dernière fois. « Le reste est silence » me murmure Hamlet.

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