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  • Photo du rédacteurNatacha de Santignac

Et maintenant?


Le bord de mer, Brighton, Royaume-Uni.

Il est 3h30 du matin, malgré la nuit noire, les cris des mouettes de Brighton déchirent déjà le ciel, annonçant peut-être la venue du jour. Je repars aujourd'hui après une semaine en la Perfide Albion, plus perfide que jamais. J'ai choisi cette destination parce que j'y passe toujours des moments agréables et reposants. Depuis seize ans, je rends visite à cette ville décalée et colorée, deux à trois fois l'an. Une amie très chère y demeure. Je peux ainsi profiter à la fois de sa compagnie et de celle de la mer auprès de laquelle je me ressource toujours, qu'elle soit déchaînée ou calme, vert de gris ou turquoise, accueillante ou glacée. C'est la première fois que je viens à Brighton sans voir Anke, qui m'a généreusement prêté son appartement à une encablure de la plage. Une encablure, cela paraît peu, toutefois cela suffit à calmer le vent du large et ici, je me sens bien à l'abri.

J'ai pour compagnes de voyage ma sœur et mes nièces qui découvrent avec bonheur la côte au sud de Londres, malgré un temps mitigé alternant nuages et plein soleil. Un vent à décorner les bœufs a bien failli nous emporter toutes les quatre, et les filles n'en revenaient pas! Dans l'ensemble nous avons plutôt eu de la chance, car les pluies prévues n'ont été que très passagères, bien que fortes, et à chaque nouvelle ondée, nous étions au sec !

Nous avons voyagé avec la voiture en prenant le ferry. Je me réjouissais beaucoup à l'idée de cette traversée, que je n'avais pas accomplie depuis des décennies, pourtant, Morphée m'a kidnappée et j'ai dormi pendant toute la durée du voyage. J'espère que je pourrai pleinement déguster le trajet du retour. Retrouverai-je l'émotion qui m'envahissait enfant lorsque les falaises de Douvres s'éloignaient? J'étais toujours prise d'une nostalgie soudaine, qu'aujourd'hui encore je ne m'explique guère. Mais, j'ai des doutes, il est vrai, au vu de l'heure à laquelle j'écris ces lignes, il me semble vraisemblable que je vais encore dormir !

Le jour pointe le bout du nez, un, deux puis trois taxis démarrent leur journée. Les mouettes continuent leur sérénade. Personne dehors, pas encore! Si seulement je pouvais dormir, je dois bien avouer que je serais, moi aussi, au fond de mon lit bien au chaud sous la couette! C'est un luxe rare qu'il m'a été donné de goûter une nuit cette semaine (j'ai dormi 9h30!), il ne faudrait pas que je fisse une overdose !

Je décide de sortir et d'aller saluer la grande bleue avant de lever l'ancre pour la France. Immense et calme, elle vient doucement caresser les galets au bas des dunes de la plage. J'aime le bruit du ressac entraînant les pierres résonnant comme de petits roulements de tambour. Une brise légère frôle mes joues rougies par la température encore fraîche. Je m'allonge, ferme les yeux et écoute la musique de cette nature qui me dépasse, tant par sa beauté que par sa résilience. Au loin les premiers bruissements de la ville, où les hommes drapés de leur arrogance oublient qu'ils ne sont rien. Des larmes douces et amères perlent le long de mon visage. Je pense au temps qui passe, aux épreuves qu'il nous faut traverser individuellement, mais aussi collectivement. Je m'interroge sur ce que signifie être française, être anglaise, être européenne. Finalement, la question n'est-elle pas tout simplement qu'est-ce que c'est d'être un être humain? Où notre humanité a-t-elle été engloutie? Où la folie humaine s'arrêtera-t-elle en ce début de siècle? J'ai envie de hurler mon impuissance, de la vomir, qu'elle sorte de moi et que je devienne une force ou quelque chose qui pourrait changer la donne !

Je pleure sur toutes ces vies brisées, volées, assassinées. Je pense à mon grand-père anglais, Walter Pearce, mort à quatre-vingts dix-huit ans, héros de la seconde guerre mondiale qui a risqué sa vie en France et en Italie pour lutter contre l'obscurantisme et la sauvagerie, alors que l'humanité avait atteint un niveau d'infamie et d'aliénation tel que personne ne pouvait croire que cela pourrait recommencer, et pourtant nous y sommes, et s'il avait été de ce monde, il aurait voté "Brexit", alors que c'est en contradiction totale avec son parcours. Comment en sommes-nous arrivés là? L'accélération des particules s'est mise en marche et la paix pour laquelle des millions de femmes et d'hommes sont morts n'est plus garantie sur notre continent. Chacun constitue une cible potentielle, tous les lieux sont à risque, toutes les personnes sont devenues des ennemis en puissance.

Le poison de la méfiance, de la suspicion d'abord injecté goutte à goutte dans les veines, a empoisonné nos sociétés, et même si collectivement, nous refusons de céder, de ne plus sortir, de ne plus voyager, nous nous sentons emprisonnés, trahis, bafoués pire impuissant. La menace n'est plus seulement externe. Elle est en nous. Elle est l'Europe! Cette idée défendue au nom de la paix, mais qui a oublié les êtres humains qui la peuplent au profit des intérêts économiques. Depuis des siècles, la seule réponse aux crises a été la guerre. Après le carnage du second conflit mondial, le choix a été fait de refuser les extrémismes, de travailler ensemble malgré les divergences et les différences. Aujourd'hui, l'Europe est tout aussi désunie que le Royaume-Uni, son incapacité à trouver des solutions face à la crise des migrants, par manque de volonté politique, et à celle du terrorisme, nous plonge en tant que société dans les abysses les plus profonds de notre inhumanité.

Je suis une optimiste, d'aucuns vous diront même que je suis naïve, que j'accorde trop facilement ma confiance et sans aucun doute suis-je quelque peu inconsciente. C'est le droit de chacun de penser ce qu'il veut. Mais j'insiste, je n'ai pas été élevée dans la peur de l'autre ni dans l'envie de ce qu'il pouvait posséder et que je n'avais guère, et vous pouvez me croire lorsque je vous dis que j'ai connu des périodes très difficiles quand j'étais enfant. J'ai été élevée dans la conviction que la différence est une richesse que l'on peut sans cesse nourrir, que le métier exercé ne définit pas une personnalité, que le nombre de zéros sur un compte en banque n'a aucune valeur, ou encore qu'un diplôme ne dit rien ni de la compréhension du monde ni du cœur de celui qui en fait cas. Il en est de même pour la religion, la couleur de peau ou l'origine géographique.

C'est contre cela que je m'insurge! Je ne veux pas être catégorisée et je me refuse à catégoriser les autres. On en vient à des bipolarités absurdes qui obligent chacun à choisir son camp. Je ne suis pas chrétienne, mais je ne suis pas musulmane non plus. J'ai des amis homosexuels tout en ne l'étant pas moi-même. Je mange de la viande, et cela ne m'empêche pas de respecter les végétariens. Je n'ai pas de télévision, que les gens la regardent m'est égal!

J'abhorre la notion du risque zéro. Le risque zéro, c'est la mort. Mais entre zéro et cent, n'y a-t-il pas une marge? Que se passe-t-il avec ce couvre-feu qui ne couvre rien, et ne fait qu'augmenter la peur et la méfiance? Personnellement, cela ne me rassure pas du tout de croiser des militaires armés jusqu'aux dents tous les trois mètres, et surtout, cela ne semble pas servir à grand chose au vu des événements récents ! Alors, à part clamer que nous sommes en guerre et prendre le risque de générer celle-ci encore plus sur notre territoire, car ceux qui sont attaqués pourraient bien décider de répondre à ces odieux attentats : attaque de mosquées, kidnapping de personnalités, bombes, comment réagir? L'escalade de la violence est en route, et ce n'est ni M. Hollande ni son gouvernement qui pourront l'endiguer. Reste notre capacité individuelle à résister, pour l'instant elle tient, et fermement. Le déclenchement d'une guerre civile sur le territoire, espéré par ces hommes qui n'en sont plus, n'est pas à l'ordre du jour, mais jusqu'à quand?

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